Messages les plus consultés

vendredi 19 novembre 2010

Marion

 
 
 
 
 
 
 
 
                                    
 
 
 
 
 
 
 
MARION OU L'ENFANT PAUVRE.
 
Après le sermon et l’office accomplis, tout ce joli monde rentra dans leurs pénates. Pendant les semaines qui suivirent, les langues se délièrent et allèrent bon train. Se soupçonnant les uns, les autres.
Un soir à la taverne de Bernabot, la porte s’ouvrit lentement dans un grincement lugubre, les clients attablés se retournèrent en direction de celle-ci. La mère Ganeau de son pas claudiquant, son dos courbé par le poids des ans et surtout de sa malfaisance entra et se dirigea vers le comptoir.
— Je te sers comme d’habitude la chouette ?
— Oui, un vin bien chaud. C’est qu’il fait frisquet dehors. Sur le parvis, il y a un vent glacial. Ce n’est pas un temps à placer un nourrisson sur les marches, dit-elle en haussant la voix, afin que tout le monde puisse entendre, puis elle se prit à se gausser.
— Tu trouves ça drôle, la Ganeau…
La vieille femme se mit à rire de nouveau.
— Toi ! Tu veux nous apprendre, quelque chose, tu sais qui, répond ?
Se redressant pour se donner de l’importance, tout en buvant son verre de vin lentement, elle répliqua :
— Oui, je connais.
— Alors ! Parle-nous la chouette, c’est qui donc ?
— Ah ! Là, ça vous intéresse ce que j’ai à vous dire hein ! Pourtant, on ne l’aime guère, la mère Ganeau, elle est sournoise, elle a une langue de vipère, elle se tient bancale, elle est bossue la vieille ! Mais elle n’est pas aussi bête que celui-là, dit-elle en montrant du doigt le pauvre Arthur.
Arthur s’approcha de la chouette l’air menaçant :
— Bête, moi ! Pas bête, idiot, c’est tout !
— Mais oui le benêt. Tout le monde le sait que tu n’es pas bête. Tu es simplement idiot et pas n’importe lequel, puisque tu es le seul du village, reprit le cabaretier tout en regardant les clients à la dérober avec un sourire moqueur.
— Tu vois bien la Ganeau que je ne suis pas bête ! Cria Arthur.
Bernabot se retourna vers la mère Ganeau.
— Et, alors, tu ne veux pas que je t’embrasse. Si tu ne parles pas, c’est que tu n’sais point, voilà tout.
— Si ! Je connais, mais je ne vous l’annoncerais pas.
Le cabaretier s’inclina au-dessus du comptoir et lui murmura :
— Allez ! Dit nous qui, la chouette !
Elle se pencha vers le marchand de soupe :
— C’est…
Puis se ravisant, afin de se faire prier.
— Eh bien non ! Vous ne l’apprendrez pas, curieux que vous êtes.
— Même si je te donnais un autre verre ?
Elle jubilait la vieille. Elle avait réussi à attirer l’attention sur ce qu’elle avait à raconter et même que sans le vin chaud offert par Bernabot et bien, elle l’aurait rapportée. Car, ce n’est pas le genre de femme à garder un secret, la chouette.
— Faut voir, répondit-elle.
Bernabot attrapa son gobelet et lui en servit un autre.
— Alors, maintenant vas-tu parler !
Les autres clients s’approchèrent du comptoir en silence.
Elle prit son verre, le porta lentement vers ses lèvres, but une petite gorgée et le reposa délicatement sur le zinc.
— Bon Dieu ! Tu nous fais marcher, vieille chouette, s’écria Bernabot.
— Minute ! Y a pas le feu. Laissez-moi terminer mon vin avant que ça ne refroidisse.
Aux anges, qu’elle se voyait la mère Ganeau ! Pour une fois que l’on prêtait attention avec autant d’intérêt à ce qu’elle avait à leur raconter.
Elle finit sa boisson lentement, gorgée par gorgée. Tous attendaient la réponse avec impatience. Elle déposa son verre délicatement et s’essuya d’un revers de manche. Toute l’assemblée était suspendue à ses lèvres.
— Vous la connaissez tous puisqu’elle est du village.
— Ça, nous sommes au courant, le curé nous l’a expliqué à l’église, tu ne nous apprends rien, la chouette.
Elle les regarda un par un. Puis, revenant au cabaretier :
— C’est la petite Moinain qui a abandonné l’enfant sur le parvis, c’est son bébé, un bâtard.
— Qui t’a raconté ça, tu l’as aperçue, de tes yeux vus ? Demanda le tavernier.
— Je suis renseignée, c’est tout.
— Encore ta langue de vipère, qui te joue des tours ! D'ailleurs, la petite ne se tenait pas là, lorsque cela s’est passé, ça ne peut pas être elle.
— Puisque je vous annonce que je le sais.
— Tu sors des faussetés ! Vieille sorcière, tout le monde est au courant qu’elle aidait son oncle et même que le père Jules l’a dit.
— C’est faux ! Il ment, elle ne résidait pas chez l’esclavagiste, du moment que je l’ai vu de mes yeux vu, le jour de l’accouchement.
— Comment l’as-tu appris ?
— C’était la veille de l’abandon. Figurez-vous que je passais devant leur chaumière lorsque j’ai entendu des braillements, des cris de nouveau-né. L’enfant couinait comme un putois pris au piège.
— Et alors ?
— Je me doutais bien que les Moinain se trouvaient au travail des champs. Étonnée je me suis approchée de la fenêtre et j’ai regardé à l’intérieur.
S’adressant à Bernabot :
— De parler, ça donne soif.
— Boisnoir, le Maréchal-ferrant posa une pièce sur le comptoir.
— Tiens Bernabot, sers-lui donc un verre, quant à toi la Ganeau, continue ton histoire.
— Là, je n’ai pas pu observer, il faisait trop sombre dans la maison.
— En clair, tu ne sais rien et pour écouter ça, j’ai mis de l’argent sur la buvette.
— Mais attendez ! Je n’ai pas fini.
— Que vas-tu encore nous inventer, hein la chouette ?
— Je n’ai point regardé, mais entendu la Marion causer à son bâtard, comme une mère parle à son enfant.
— Ne serait-ce pas ton imagination, qui s’emballe, lui répondit Bernabot ?
— J’vous dis que c’est pas vrai et le jour du sermon du curé, vous étiez tous suspendus à ses lèvres, comme si c’était le Seigneur en personne, mais moi, j’observais !
— Tu as vu quoi ? Personnellement, je n’ai rien vu d’anormal et vous autres, vous avez remarqué quelque chose ?
— Non, répondirent-ils tous ensemble.
— Et bien, la Marion avait l’air triste à en mourir. Même qu’elle pleurait toutes les larmes de son corps.
Elle s’arrêta de bavarder un instant en regardant son verre.
— Fais rudement soif chez toi le Bernabot.
— Ça suffit ! Tu as assez bu.
— Je parle plus, j’ai ben trop la langue sèche.
— Tu ne vas point nous laisser sur la braise. Tiens ! Bernabot, voilà une pièce et ressert la chouette, car personnellement je dois connaître la fin de l’histoire. Ayant un secret à raconter la Berthe ne trouvera rien à dire si j’arrive juste au moment de la soupe, lui dit Beauval le forgeron.
— Et un vin chaud, un !
Bernabot lui servit son verre et la mère Ganeau reprit :
— Même que la Marion a voulu s’enfuir de l’église, mais le père Moinain l’a retenu par le bras, alors ! Ça, c’est des menteries peut-être ?
— Ah ! La catin, s’écria l’un des frères Benoît, et dire qu’elle fait sa petite mijaurée lorsqu’on la voit, ah, la garce.
— Et le vieux Jules qui nous croise comme-ci de rien n’était, marmonna Beauval.
— Moi ! J’avais bien remarqué. La Mariette lorsqu’elle descendait au lavoir elle se mettait toujours en retrait des autres depuis quelque temps. Maintenant, je pense savoir. C’était pour éviter de nous en parler, pardi ! Reprit la Bernabot.
— Vous voyez, que je sais qui, et pour cause puisque je l’ai vu ?
À partir de ce jour-là, les langues allaient bon train, il n’était plus question que de l’enfant bâtard de Marion, de ses parents et surtout ! Qui pouvait en être le père ? Un inconnu ou... un homme du village. Alors, les suppositions fleurirent, les femmes regardaient leurs conjoints du coin de l’œil, les soupçonnant d’en être le coupable.
Beauval était attablé comme à l’habitude, seul le bruit de la trotteuse dans la grosse horloge marquant inlassablement les secondes rompait le silence. Le forgeron était assis, attendant patiemment, alors que la soupe de fèves commençait à fumer dans le chaudron. D’un geste précis, il sortit sa pipe et la bourra lentement, puis, il l’alluma.
La Berthe apporta un verre et le litre de vin et les posa près de son conjoint délicatement, alors que son mari regardait les buches incandescentes crépiter dans l’âtre en tirant lentement sur sa pipe. Elle resta un moment, plantée devant lui, se tordant les doigts dans son tablier, après maintes hésitations :
— Ferdinand ! Réponds-moi franchement, jure-moi… que ce n’est pas toi qui as donné un bâtard à la petite Moinain.
L’homme releva la tête lentement vers sa femme.
— Ma pauvre Berthe, tu as complètement perdu la raison.
— Oui, je deviens folle ! Folle de jalousie, figure-toi, cria-t-elle.
Et, se ressaisissant, elle murmura les larmes aux yeux :
— Moi qui n’ai jamais pu t’offrir un petit, alors que toi, tu aurais tant désiré avoir un fils. Parfois…, je t’observe en silence, lorsque tu regardes, accoudé au chambranle de la porte en fumant ta pipe, les gamins des autres jouer sur le chemin et cela me fait mal, mal de ne pas avoir pu te donner un enfant. Ferdinand, pour la dernière fois… assure-moi que ce n’est pas toi.
— Berthe ! Maintenant, ça suffit ! C’est Dieu qui l’a voulu ainsi, nous n’y pouvons rien à rien, alors n’en parlons plus et sers-moi la popote, elle refroidit.
— D'abord, jure-moi que ce n’est pas toi !
Le forgeron se leva de table, prit son chapeau, sa veste et se dirigea vers la porte.
— Ferdinand ! Où vas-tu ?
Chez Bernabot, boire un coup et manger une soupe, là, je suis sûr qu’elle sera chaude et que l’on ne me posera pas des questions idiotes.
L’homme sortit sans rien ajouter.
Les Boisnoir entrèrent dans la chaumière avec leurs deux enfants Pierre le fils âgé de douze ans, petit pour son âge, mais râblé comme son père. La fille quinze ans, fluette et sans coquetterie. Boisnoir alla s’asseoir près de la cheminée et lança quelques bûches dans la braise.
La mère profitant d’un petit instant de répit avant de servir le souper, saisit ses aiguilles, s’installa à côté et commença à tricoter. L’adolescente dressa la table comme à son habitude, alors que le jeune garçon retirait ses sabots pour se réchauffer les pieds devant le feu tout en se frottant les mains vigoureusement.
Le père après un long silence prit la parole :
— Maintenant ! Il est hors de question que Solange pose un pied dehors sans être accompagnée, je ne tiens pas à ce qu’elle devienne une enfant perdue tout comme la Marion, déclare le maréchal-ferrant.
— Mais, Georges…
— Tu crois que je ne l’ai pas vu tourner autour de l’autre vaurien de Benoît.
— Que vas-tu chercher là, tu ne penses pas à Arthur tout de même, demanda la mère.
— Ne raconte pas de bêtises ! C’est, d’Aurélien dont je parle. Et elle le sait très bien, reprit-il, en regardant la gamine.
Celle-ci baissa la tête et continua de mettre la table en silence. Boisnoir se leva furieux, retourna l’adolescente violemment et lui administra une gifle.
— Réponds, lorsque je te parle catin ! N’est-il pas vrai ? Que tu cours après ce vaurien d’Aurélien, vas-tu dire la vérité garce ?
— Non, papa ! Je te le jure.
— Menteuse que tu es, file dans ta chambre, tu ne souperas pas ce soir. Et si cela ne lui suffit pas, elle partira en maison de correction jusqu'à sa majorité.
La jeune fille se précipita sur son lit en pleurant.
— Georges, je pense que tu as tort de te mettre dans cet état, Solange ne pense pas à mal.
— Toi ! Tu ne regardes pas plus loin que le bout de ton nez et je suis certain d’avoir raison, dorénavant elle ne sortira plus de la chaumière un point c’est tout !
— Mais Georges, c’est encore une gosse, elle n’a que quinze ans.
— Et alors ! Marion en a seize. Cela ne l’aura pas empêchée d’être une raccrocheuse que je sache et de se faire faire un bâtard par..., je ne sais trop qui ?
Chez les Bernabot.
— Lucien, je t’ai vu l’autre fois discuter avec la traînée, c’était à propos de quoi ?
— Moi !
— Oui toi !
— Mais, je ne m’en souviens plus. Et que vas-tu penser, non de non ?
— C’est à toi de me le dire… que cherches-tu ? Me faire passer pour la cornue du village peut-être, ou te prendre pour un Don Juan et avec une fille facile en plus une goton. À ton âge, n’as-tu pas honte ?
— Mais tu es folle, ma pauvre Lucette. Regarde-moi bien, ai-je l’air d’un Casanova. Tu ferais mieux de t’occuper de moi au lieu de me raconter n’importe quoi ! Allons, ne sois pas idiote. Je lui ai parlé comme je cause à tout le monde, voilà tout !
— Je ne veux plus que tu lui dises une parole, que tu braques les yeux sur elle et surtout ! Ne t’avise pas de l’approcher. Le commerce m’appartient ! Ne l’oublie pas, tu risquerais fort de te retrouver à la rue.
— Arrête ! De me le rabâcher sans arrêt ! Je le sais que trop. Tu es la patronne et moi le grouillot, mais fais bien attention ! Car à force de me le répéter c’est moi qui m’en irai d’ici et bon débarras. Tu te débrouilleras avec ton tripot comme dirait le ratichon. Me monter une scène de ménage à moi et tout ça à cause d’une adolescente qui a la cuisse légère, mais… tu deviens malade, ma pauvre Lucette. Franchement, ai-je l’air de ce que tu prétends ? Mais regarde-moi lorsque je te parle !
La Bernabot se mit à sangloter.
— Excuse-moi, je ne voulais pas dire ça.
— Bon ! N’y pensons plus et viens dans mes bras comme au bon vieux temps.
La femme se blottit contre lui.
— Et bien ! On n’est pas mieux ainsi ?
— Oui mon Lulu.
— Alors, sers-moi un verre de vin et sur le compte de la patronne, lui murmura Bernabot en souriant.
Voilà où en était ce charmant village aux chemins escarpés, flanqué dans une colline où coulait en contrebas la rivière. Une seule personne dans cette petite communauté se sentait à l’aise, elle qui n’avait jamais eu de prétendants et pour cause.
Celle que l’ombre claudiquant se reflétait sur les murs le soir venu, éclairée seulement par quelques becs de gaz plantés en coin de rue. Cette forme informe, donnant l’impression d’une danse macabre, faisant peur aux enfants, avec son visage ingrat surmonté de cheveux poivre et sel.
Cette silhouette, toujours vêtue de noire tenant sa canne d'une main mal assurée, marquant le pas, trainant dans ces ruelles sombres, tout en s’abreuvant de méchanceté et du malheur de son prochain, la Ganeau, dit la chouette.
— Salut ! Le père Jules, qu’est-ce que je te sers ?
— Donne-moi un vin chaud, dit Moinain tout en se frottant les mains.
— Quel foutu temps, hein ! Jules ?
— Oui, il fait frisquet. Le mois de novembre tient ses promesses et je pense que ce n’est pas fini, figure-toi, enfin ! Les bêtes sont rentrées depuis longtemps et nous gardons le feu dans la cheminée. Alors, faut pas s’plaindre, ça pourrait être pis. D’ailleurs, on a connu pire, rappelle-toi ! Il y a huit années de ça.
— Oh ! Ben, pour sûr que j’me souviens. Le village a été isolé du reste du monde pendant trois semaines, voire plus. On ne distinguait plus les routes. Saloperie de neige, dans la remise les fûts de vin étaient gelés.
— J’ai comme l’impression que cette année, l’hiver déjà précoce tiendra ses promesses, croit moi, la rivière se glisse déjà sous la glace, reprit le père Jules.
— Et dire qu’une femme a abandonné son enfant sur les marches de l’église. Tu es au courant Jules de cette histoire ?
CHAPITRE 5
Les clients qui se trouvaient présents le sourire aux lèvres s’arrêtèrent de discuter pour mieux entendre la réponse.
— Bien sûr, j’étais à la messe comme tout le monde… pourquoi me parles-tu de ça ?
— Oh, comme ça, histoire d’entretenir la causette. Je voulais savoir simplement ce que tu en pensais.
Le père Moinain prit son verre et ne répondit pas.
— C’est tout de même malheureux d’abandonner son enfant, tu ne crois pas Jules ?
Jules ne prononça pas un mot.
— Et Mariette, ça va ?
— Oui, très bien merci.
— Et… Marion ?
— Elle aussi, pourquoi ?
— Non ! Mais comme on la voit peu, je me demandais…
— Que cherches-tu, Bernabot ? C’est un interrogatoire ? Pourquoi toutes ces questions ? Depuis que je suis là devant toi, tu n’arrêtes pas. Alors, si tu as quelque chose à dire et bien sors-le ! Mais ne tourne pas autour comme la mouche autour du pot de miel.
— Ne te fâche pas Jules, c’était histoire de discuter, voilà tout.
— Personnellement, je trouve que tu causes trop. Parle-moi du travail, du temps qu’il a fait qu’il fait ou qu’il fera, mais ne t’occupe pas de ma maison. C’est compris ?
— Comme tu voudras Jules.
— Tiens ! Donne-moi plutôt un autre vin chaud.
La porte de la taverne s’ouvrit.
— Bonjour ! La mère Ganeau, dit Bernabot.
— Bonjour ! À tous. Bien le bonjour le père Jules.
— Bonjour la chouette.
— Comment se porte la petite famille ?
— Bien merci.
— J’ai croisé Marion ce matin, elle me paraît fatiguée, elle n’est pas malade au moins ?
— Mais Bon Dieu ! Qu’est-ce qu'il vous arrive à tous de me questionner au sujet de mes proches, hein ? Allez ! Dites ce que vous avez sur le cœur et que l’on en termine.
— Heu… voilà Jules. Tout le village croit que le nouveau-né que l’on a retrouvé sur les marches de l’église et bien…
— Eh ! Ben, quoi ? Vas-y, dis ce que tu as à dire nom de Dieu ! Au lieu de tourner autour du pot.
— Et…, on pense que l’enfant appartient à Marion.
— Je reconnais bien là ta langue de vipère la chouette. Ah ! Ça te démangeait, ça te tortillait les boyaux, hein ! La bancale, de débagouler tes méchancetés. Tu n'es qu'une gangrène, une faisandée, tu sens la mort. Toi ! Bernabot, tu ne vaux pas mieux qu’elle.
Se tournant vers les clients :
— Et vous autres, qu'est-ce que vous attendez ? Bande de vermines, va, je vois que votre pauvreté d’esprit se tient toujours à l’affût des racontars. Vous vous ennuyez tellement que la désolation d’une famille nourrit vos veillées. Même les bêtes ne se conduisent pas de cette manière, vous représentez tout ce qui est mauvais sur cette terre, vous n’êtes que des nuisibles, des rats s’abreuvant de la détresse de vos semblables. Je vous chasse de mes pensées, pour moi vous ressemblez à de la vomissure, s’écria Jules.
S’adressant au tavernier :
— Quant à toi le fouille au pot, c’est bien la dernière fois que je mets les pieds dans ta gargotière. Je préfère boire un verre chez moi parmi les miens. Que d’être entouré de malfaisants, avides de clabaudages !
— Mais… Jules !
— Toi ! L’empoisonneur va en enfer ! Lui cria Moinain.
Il jeta avec dédain une pièce sur le comptoir et sortit en claquant la porte.
La mère préparait le repas alors que Marion était au lavoir. Jules entra et prit place sur le banc sans rien dire. Il sortit de sa poche son couteau qu’il essuya sur sa manche et le plaça devant lui.
Ensuite, il attrapa sa blague à tabac et bourra sa pipe. Mariette se dirigeât vers le vaisselier, saisit la bouteille de vin et un verre. Elle s’approcha de la table et les déposa délicatement dessus. Le père Jules alluma sa bouffarde à l’aide de la bougie et se retourna vers sa femme :
— Où est-elle ?
— Au lavoir.
— Elle doit quitter le village.
— Mais… pour aller où ?
— En ville.
— Mais… pourquoi ?
— Tout le monde le sait et les railleries commencent, donc il faut qu’elle parte le plus tôt possible, comme ça ils oublieront notre malheur.

La mère se mit à pleurer.

Marion

Tu resteras à la maison jusqu’à la fin de la semaine, sans être vue pour ne pas éveiller les soupçons.

Marion pose la soupière près de lui et sert trois louches, comme cela se pratique dans les campagnes, le chef de famille en premier. Jules prend le litre de vin rouge et en verse dans son assiette touille lentement avec sa cuillère, puis la dépose sur le bord de l'assiette et continue à y déposer quelques morceaux de pain rassis. Toujours sans relever la tête :

— Avec la Mariette, nous dirons à qui veut l’entendre que tu reviens de chez ton oncle dans quelques jours, seulement après tu pourras sortir et travailler avec nous. C’est bien compris ?

— Oui le père.

Alerté par les cris du bébé, le curé ouvrit le portail. D’abord surprit le vieil ecclésiastique, marqua une pause, le regard perplexe. Après avoir observé les alentours, il s’agenouilla en effectuant un signe de croix, prit l’être fragile dans ses bras et se releva péniblement.

Après un temps d’hésitation, il entra dans l’église, referma la lourde porte et se dirigea vers la sainte table, y déposa le nouveau-né délicatement, puis s’adressant à la vierge les mains jointes :

— Madame, pourquoi ? Pourquoi cette épreuve ? Que dois-je faire de ce bébé, je ne suis qu’un homme ?

Il resta un moment silencieux, attendant une réponse, un signe. Soudain ! Une lumière bleue éclaira l’autel, se concentrant sur l’enfant, et devint d’un blanc aveuglant, puis elle disparut comme elle était venue.

— Merci, madame, murmura le prêtre.

Il reprit le nourrisson contre lui et ressortit par la poterne du presbytère en pressant le pas.

La sœur Marguerite ouvrit le portail du couvent Sainte-Catherine. Un instant, elle regarda étonner le vieil homme et son mystérieux paquet, qu’il tenait dans ses bras comme un trésor. Comprenant enfin, elle prit le bébé :

— Il s’appellera Pierre, répondit simplement la religieuse tout en refermant la porte.

Le prêtre reprit le chemin en sens inverse bredouillant des mots inaudibles.

En ce dimanche de Pâques, l’église est remplie de ses ouailles, le curé fait son apparition, accompagné de ses deux enfants de chœur.

Les habitants de cette petite paroisse se levèrent, les hommes, le chapeau bas, la tête baissée et les mains jointes.

Presque tous les habitants présents dans le petit centre religieux s’impatientent. Car la curiosité pour eux devient maladive, ils se doutent que quelque chose vient de se produire dans le village à l’exception d’une famille, mais, quoi ?

Le forgeron Davault et sa femme, la famille Bernabot, les cabaretiers, les Boisnoir et leur progéniture. Les frères Benoît, Aurélien et Denis, deux bons à rien qui vivent aux crochets de leur mère et Arthur, le dernier. Un simple d’esprit, comme dans beaucoup de villages, c’est le Benêt, mais lui au moins, travaille.

Elle demeure avec ses trois rejetons, le père journalier étant mort à la suite d’un accident jamais élucidé.

Les paysans, leur chapeau à la main. Le maire monsieur de Boisans dans son beau costume, un noble célibataire habitant dans son château sur les hauteurs, les journaliers, la famille Moinain accompagnée de leur fille Marion… et surtout ! La vieille Ganeau dit « la chouette » toujours prête à vomir ses méchancetés.

Tous se tiennent là, attendant le sermon du vieux prêtre. On sait qu’il s’est passé quelque chose dans le village. Alors, beaucoup viennent par soif de connaître, une curiosité malsaine, simplement pour être informé. Contrairement à son habitude, avant de commencer, le curé envoie les deux enfants de chœur s’occuper de la quête, ce qui surprend tout le monde, mais personne n’ose dire quoi que ce soit, se pliant sans mot dire. Une fois terminé, l’ecclésiastique prend le fruit de la collecte après un bref coup d’œil à la panière, il la dépose sur l’autel.

« Faut-il que l’on abandonne un être sans défense pour que les enfants de Dieu soient pleins de largesse, ou est-ce tout simplement la curiosité habitant votre esprit qui fait ouvrir vos besaces. Si cela est, alors je vais vous en donner pour votre argent. » Pensa le curé.

Il prononce quelques paroles inaudibles, exécute son signe de croix, en posant un genou à terre, se releva et se retourna lentement vers ses ouailles. Observant chacun d’entre eux, surtout les femmes qui se sentant épiées, baissent la tête devant ce regard inquisiteur.

Les hommes pour se donner une certaine contenance regardent le plafond ou les murs comme s’ils les découvraient pour la première fois. Après qu’il est fait le tour de cette assemblée, il émit un soupir et rompit le silence.

— En début de semaine, j’ai fait une découverte pour le moins surprenante sur le parvis de notre église…

Il s’arrête un instant pour mieux entrevoir les réactions. Le père Moinain se tient la tête baissée tenant son béret à deux mains, la mère prie en sourdine les lèvres tremblantes serrant son chapelet, alors qu’une larme coule sur la joue de Marion. Les autres, le regard impatient et la bouche béante attendent la suite avec une certaine impatience.

— J’ai découvert, disais-je, un linge déposé à la hâte par une femme, certainement pleine de désespoir et sans pouvoir. Cette femme est de notre paroisse. Mais, que le plus pur d’entre nous lui jette la première pierre. Dans ce linge s'y trouvait un nouveau-né, un enfant abandonné.

— Oh ! fit l’assemblée…

Bernabot se leva en riant :

— En tout cas, on est sûr d’une chose… l’enfant ne vient pas de toi, la chouette ! Cria-t-il en s’adressant à la mère Ganeau.

Les autres se mirent à rire. Tous, sauf la famille Moinain.

Le curé montrant l’homme du doigt :

— Silence ! Bernabot, vous vous trouvez dans la maison de Dieu et non dans votre lieu de perdition.

Le cabaretier se rassit en maugréant des paroles inaudibles. Toutes les femmes s’épient, cherchant la coupable du regard. Marion n’y tenant plus veut s’enfuir pour cacher sa honte. D’une main ferme, son père la retient assise. Mais trop tard, la chouette a observé la scène. Le curé termine par cette phrase :

— Long apparaîtra le chemin que vous devrez prendre pour sauver vos âmes et retrouver l’indulgence du Seigneur. Mais, certains ne parviendront pas jusqu’au bout.

Marion

Il est à peine quatre heures du matin, la jeune Marion presse le pas dans cette petite ruelle aux pavés disjoints, qui mène tout droit à l’église.

Les bougies commencent à s’éclairer à l’intérieur des chaumières, car à cette époque-là, dans les campagnes, on se lève tôt. Alors, il faut faire vite, de façon à ne pas être reconnue. Ça fait bientôt six mois que le père Moinain refuse à sa fille de sortir de crainte que cela se sache.

Pour les voisins, elle est partie garder les moutons chez son oncle Bernafault le frère de sa mère. Pour soulager leur misère et entretenir les ragots, voire se donner l’impression d’exister, les habitants de ce charmant village la plaignent. Pensez donc ! Le Bernafault, comme ils disent « Le négrier ».

Pour ces habitants de la campagne profonde, un homme sans grande fortune et qui a voyagé doit assurément être un négrier, ou un aventurier, un bandit, un meurtrier peut-être ! Allez donc savoir ? Dans un petit bourg comme celui-ci, tout s’ébruite, tout s’entend et tout se voit, la suspicion semble partout.

Les langues iraient bon train si l’on savait. La méchanceté, la cruauté et la sournoiserie sont devenues monnaies courantes dans le coin, on se rit du malheur des autres afin de supporter ou d’oublier le sien.

Et puis, il faut bien comprendre qu’à Basoche-sur-Gif, il ne se passe rien, alors ! Une nouvelle comme celle-ci, vous pensez ! Ici, ce n’est pas l’indifférence de son prochain comme dans les grandes villes, mais le contraire, néanmoins cela ne vaut guère mieux.

« Tiens ! Voilà la moins que rien, la Marie, couche-toi là ! » Dirait la vieille Ganeau avec sa langue de vipère, en regardant venir la petite Marion.

C’est que chez les Moinain on est pauvre, certes, mais propre. D’avoir une catin à la maison, vous tache votre nom d’une ternissure indélébile. Alors, vous pensez bien qu’avec un bâtard en plus.

La mère, en voyant le ventre de sa fille s’arrondir de semaine en semaine, en a tellement versé des larmes à force de supplier Jules, son mari, de garder l’enfant bâtard, mais rien n’y fit. Alors, ses yeux sont devenus vides, elle ne peut plus pleurer, elle n’en a plus la force.

L’homme au caractère rustique restera sur sa position, car, pour lui, ce fruit défendu ne représente que la honte et le déshonneur.

— Jamais ! Vous entendez. Jamais ! Dans ma famille, cela ne c’était produit. Il n’y a pas eu d’enfants bâtards chez nous ! On fera comme je pense ! Et pas autrement, que l’on n’y revienne pas, ce qui est dit est dit !

Une silhouette avance avec empressement, sur les pavés disjoints et humides par la rosée du petit matin, pantelante, légèrement courbée, le pied nu, pour ne pas faire de bruit. La jeune Marion est encore dans l’adolescence, elle serre contre sa poitrine une forme mouvante, entourée dans une pelisse chaude confectionnée à la hâte par la mère Moinain. Soudain, un mouvement de porte dans la ruelle, elle se dissimule tant bien que mal sous un porche. Elle est frigorifiée et ne sent plus ses pieds. Le corps tremble de tous ses membres, elle ne sait plus si c’est la froideur du temps ou la peur d’être surprise, la peur d’être aperçu là, au petit jour, tenant contre elle ce paquet mouvant, par un villageois ou bien les deux peut-être.

Un bruit de sabots, elle penche la tête discrètement, ses jambes flageolent, son visage se perle de gouttes de sueur malgré le froid intense. Elle se mord les lèvres jusqu’au sang pour ne pas s’évanouir.

Un vieil homme sort de chez lui un seau de nuit à la main. C’est le père Collot avec sa pipe à la bouche, à croire qu’il ne la quitte jamais. Le vieillard relève les yeux vers le ciel en scrutant les étoiles un instant.

Puis il prend son seillot à deux mains, déversant le contenu d’un mouvement de balancier dans la rigole centrale, contemple encore une fois le ciel et entre dans ses pénates en claudiquant à cause de son nerf sciatique.

Marion reprend son chemin, de temps en temps elle regarde en arrière de peur d’être suivie. Arrivée enfin sur les marches, elle se retourne une dernière fois, toujours dans la crainte d’être vue.

Personne, le cœur à la fois soulagé et serré, elle dépose délicatement sa chair, sa honte, sur le parvis de l’église près de la grande porte.

À seize ans, elle n’a pas les moyens ni la possibilité de subvenir à cet enfant bâtard.

Elle regarde un court instant, la forme qui se meut dans son linge. Un morceau de papier, sur lequel sont griffonnés maladroitement ces quelques mots : « Aidez-le ! Il est innocent » est épinglé bien en évidence sur la poitrine du bébé.

Puis elle se retourne de peur de ne plus pouvoir garder le courage, le courage d’abandonner ce petit être fragile à son destin.

L’accouchement, elle l’a réalisé seule dans de grandes souffrances, sans aucune assistance ni un réconfort, dans une longue solitude, sur un lit de feurre, déposé à la hâte à même le sol. Près de la cheminée pour que le nouveau-né ne prenne pas froid.

Un linge entre les mâchoires pour étouffer sa douleur à cause des autres, les autres, ceux de son village, surtout la chouette avec sa mauvaise langue. Le corps inondé de sueur, haletante, à bout de force et le ventre délivré, elle se mit péniblement sur les genoux et coupa le cordon ombilical avec les dents.

Ensuite, elle saisit une poignée de paille et frotta l’enfant vigoureusement pour le nettoyer de ses impuretés, alors que ses parents travaillaient aux champs.

Marion, l’œil rougi par la douleur presse le pas à grandes enjambées, le cœur compressé et la chair meurtris. En ce temps-là, le geste n’était pas unique, combien de pauvres gamines se laissaient-elles prendre au rêve de l’amour sans en connaitre les conséquences ?

À cette époque, seuls les adultes savaient, mais se taisaient. Car il était impensable pour une mère d’aborder la chose avec une adolescente, encore moins avec sa fille, quant au père, n’en parlons pas.

Marion, c’est un officier des dragons cantonné à la ville qui l’avait séduite, lui promettant monts et merveilles, tout simplement, pour assouvir ses bas instincts, son envie. Beaucoup d’hommes respectables deviennent ainsi, devant des jeunes ingénues ayant la tête pleine de pensées chimériques.

Étant muté peu de temps après avoir fait la connaissance de Marion, il était parti sans laisser d’adresse, se souciant peu des séquelles et de la détresse qu’il infligeait à la mineure.

Après plusieurs démarches, l’adolescente avait enfin obtenu une entrevue avec l’officier commandant la garnison.

— Mademoiselle, notre caserne est un transit. Cet officier a reçu sa mutation pour un endroit que je ne dois pas vous divulguer pour des raisons militaires. Cet homme n’a certainement pas désiré donner de suite à vos relations. Donc, je ne peux rien pour vous, vous m’en voyez désolé ! Dit-il en se levant pour bien faire comprendre à son interlocutrice que l’entretien était terminé ?

Se sachant enceinte, Marion essaya maintes et maintes fois d’obtenir un nouvel entretien avec le supérieur, mais rien n’y fit. Le commandant semblait absent ou trop occupé. Issue d’une famille pauvre, sans travail ni ressource, que pouvait-elle souhaiter ! Sinon espérer ! Espérer qu’une âme charitable prendrait soin de son enfant, afin qu’il puisse obtenir une chance de survivre, dans un monde où l’argent et l’intérêt règnent en maître.

Revenue chez ses parents, Marion les yeux rougis et les joues humides prépare la soupe pour le déjeuner sans un mot en silence, un silence pesant. La mère n’ose regarder sa fille de peur de verser des larmes de sang n’ayant plus rien d’autre à donner. Le père Moinain, assis sur le banc et la tête baissée, rompt des morceaux de pain perdu au rythme du balancier de la vieille comtoise.

— Personne ne t’a remarqué ? Demande-t-il les yeux fixés sur sa soupe ?

— Non, personne, répond Marion d’une voix tremblante.

— Tu resteras à la maison jusqu’à la fin de la semaine, sans être vue pour ne pas éveiller les soupçons.

Marion pose la soupière près de lui et sert trois louches, comme cela se pratique dans les campagnes, le chef de famille en premier. Jules prend le litre de vin rouge et en verse dans son assiette touille lentement avec sa cuillère, puis la dépose sur le bord de l'assiette et continue à y déposer quelques morceaux de pain rassis. Toujours sans relever la tête :

— Avec la Mariette, nous dirons à qui veut l’entendre que tu reviens de chez ton oncle dans quelques jours, seulement après tu pourras sortir et travailler avec nous. C’est bien compris ?

— Oui le père.

Alerté par les cris du bébé, le curé ouvrit le portail. D’abord surprit le vieil ecclésiastique, marqua une pause, le regard perplexe. Après avoir observé les alentours, il s’agenouilla en effectuant un signe de croix, prit l’être fragile dans ses bras et se releva
Mes tapuscrits seront sur mon blog. A lire sans modération.

mardi 23 février 2010

Mes livres

Ce que j'ai écris, voici les titres de mes livres:
Duncan et la race supérieur, Duncan et le trêfle à quatre feuilles, Mon pote, Cadrousse, La forêt aux loups, l'enfant pauvre, les aventures de Mangekarote, 1, 2 et 3. Si vous voulez en savoir plus, vous pouvez me poser des questions.

Jean Claude HOCH

Chez Cadrousse

Bonjour! à toutes et à tous.
Je me présente Jean Claude HOCH écrivain.